LIMNOLOGIE

LIMNOLOGIE
LIMNOLOGIE

La limnologie, terme que créa en 1892 le Suisse F. A. Forel et qu’il définit comme l’«océanographie des lacs» désigne aujourd’hui l’étude statique et dynamique des eaux continentales ou intérieures séparées du monde océanique. La caractéristique essentielle de ce dernier est la constance relative de sa composition, tandis que les premières présentent une variété extraordinaire, allant de l’eau pure, naturellement distillée ou désionisée, à des saumures chlorurées, sulfatées ou carbonatées. Bien que, pour certains auteurs, la biologie des eaux courantes trouve sa place en limnologie, elle sera traitée ici avec l’étude physique et géographique de ces milieux [cf. POTAMOLOGIE].

Au sens strict, la limnologie se limite donc aux collections d’eaux dormantes plus ou moins naturelles et durables, quelles que soient leur importance (lacs, étangs, flaques d’eau...) et leur dépendance avec le milieu strictement marin (lagunes, par exemple). C’est une forme d’écologie spécialisée et régionalisée s’apparentant méthodologiquement et conceptuellement à l’océanologie, science des océans et de leurs frontières. Tout comme l’océanologie, elle permet non seulement l’étude des organismes vivants qui colonisent une unité géographique, mais surtout de comprendre les liens existant entre ces êtres, d’en étudier l’évolution dans le temps et d’en prévoir le devenir.

Les lacs, du fait qu’ils sont constitués d’un ensemble de milieux juxtaposés dans une même cuvette naturelle – ainsi, leur zone littorale s’apparente beaucoup à une portion d’étang, voire à toutes les parties qui le composent – seront pris comme exemple.

Quels que soient leur origine et leur type d’évolution, la complexité des phénomènes qui les caractérisent a conduit les spécialistes à se regrouper par disciplines, tout en restant conscients de l’unité du milieu naturel qu’ils étudient; on parle ainsi de limnophysique, de limnogéologie, de paléolimnologie, de limnochimie, de limnobiologie, de limnobiochimie. De fait, si l’analyse des facteurs de milieu est une première approche indispensable à l’étude d’un lac et de ses abords, l’écosystème qu’il représente, à la surface du globe, impose également de le considérer synthétiquement comme un véritable organisme vivant ayant ses lois et ses organes dont chacun (peuplements, populations, phases) comporte à la fois une vie propre et une vie dépendante de celle des autres.

La compréhension de la vie d’un lac (et non de la vie animale et végétale dans ce lac, domaine de l’hydrobiologie) impose aussi une connaissance suffisante des affluents qui peuvent être considérés comme des dépendances de ce lac. Elle permet à la fois de sauvegarder et d’utiliser ces masses d’eau au profit de l’homme, qui en a besoin pour son agriculture, son industrie, ses loisirs.

Ses efforts pour protéger, utiliser, exploiter les lacs naturels ou artificiels (tabl. 1) seront d’autant plus rentables qu’il prendra conscience de la nécessité de mieux connaître les divers facteurs en cause, les relations qui les unissent, leur importance relative et la vitesse de leur évolution dans le temps. Son action volontaire ou involontaire sur certains de ces facteurs peut amener des transformations irréversibles dont il sera tôt ou tard la victime, à moins qu’il n’en soit, par sa prévoyance, le bénéficiaire.

1. Caractéristiques des eaux dormantes

Les deux sources les plus importantes d’eau continentale sont les précipitations et les eaux affluentes (eaux ruisselantes et eaux courantes). Ni les unes ni les autres ne sont pures. Elles se chargent soit au contact de l’air, soit à celui des constituants du sol, de substances minérales et organiques, dont certaines sont radioactives. L’évaporation souvent intense à la surface de l’eau provoque une concentration de ces substances dissoutes. Certaines sont en voie de dépôt dès leur arrivée, soit parce que leur densité est supérieure à celle de l’eau, soit parce qu’elles floculent ou que leur concentration atteint le seuil de cristallisation qui les caractérise; dans les petits lacs de la zone aride du Canada central se dépose ainsi du sulfate de soude (lac Muskiki) ou bien du carbonate de chaux (lac Sturgeon); ailleurs, il s’agit de carbonate de soude ou natron (lacs du Kanem au Tchad), ou de sels d’origine marine comme le chlorure de sodium (mer Morte).

La plus grande part des sels apportés par les affluents et les précipitations reste en solution et participe aux phénomènes biologiques qui caractérisent toute eau continentale à la surface du globe.

Composition chimique

Les éléments chimiques des terrains et roches avoisinantes, entraînés directement ou non dans les eaux par les précipitations, sont des agents essentiels. Outre des gaz dissous, azote, oxygène, gaz carbonique, les éléments électronégatifs et électropositifs présents se combinent pour former anions et cations dont beaucoup sont indispensables à la vie. Parmi eux, les sels de l’acide carbonique, de l’acide phosphorique et les composés du soufre et de l’azote sont les plus importants avec les cations accompagnateurs: calcium, magnésium, sodium, potassium, fer, manganèse, etc.

Une analyse plus fine d’une eau continentale permettrait d’y déceler, à l’état souvent de traces, de nombreux autres éléments dont certains jouent un rôle important dans la vie des organismes aquatiques: silicium, molybdène, gallium, zinc, cuivre, cobalt, etc. (cf. EAU - Physico-chimie de l’eau).

Stabilité et instabilité du milieu

Contrairement aux eaux marines, les milieux aquatiques continentaux sont peu stables dans leur composition tant qualitative que

quantitative. Dans les régions tempérées et montagneuses, ce sont les variations de composition des apports qui en sont une des causes essentielles, tandis que dans certaines régions tropicales, c’est l’évaporation.

Toutefois, il s’établit souvent un équilibre dans le temps qui permet, pour un lac donné, de définir des normes de composition. On parlera ainsi de lacs carbonatés ou de lacs sulfatés même si, quantitativement, la teneur des eaux de ces lacs en carbonates ou en sulfates est variable et faible.

La stabilité chimique d’un lac dépend à la fois du volume d’eau qu’il emmagasine, et des conditions climatiques du bassin d’alimentation qui influencent la composition des eaux affluentes et leur débit. La stabilité biologique d’un lac dépend à la fois de la constance relative de ces diverses conditions et de leur reproductivité dans le temps.

2. Les lacs

Les lacs sont des dépressions de l’écorce terrestre remplies d’eau. Ils sont de tailles très variables et sont répartis sur toute la surface du globe. On en trouve à toutes les altitudes aussi bien en haute montagne (le lac Titicaca au Pérou est situé à 3 812 m au-dessus de la mer) qu’au niveau de la mer ou même en dessous (le niveau de la mer Morte est à 漣 394 m d’altitude). Le plus profond est le lac Baïkal, qui, avec ses 1 637 m de profondeur, n’en est pas moins situé à 457 m d’altitude, occupant ainsi une crytodépression, tout comme le lac de Côme et de nombreux lacs de Norvège qui occupent d’anciens fjords et dont le fond est au-dessous du niveau de la mer. Quant au plus grand, certains, considérant la définition et la situation actuelles des lacs, le verront dans la Caspienne, d’autres dans le lac Supérieur, tandis que d’autres encore n’hésiteront pas à donner à la mer Noire ou même à la Baltique le statut de lac au même titre que le Maracaïbo (Venezuela).

Plus de quarante lacs naturels dans le monde ont une superficie supérieure à 4 000 km2 et une quarantaine ont une profondeur qui dépasse trois cents mètres (tabl. 2 et 3). Dans les régions où un même phénomène géologique a provoqué l’apparition d’un grand nombre de cuvettes remplissables, on parle de familles de lacs: ainsi la Scandinavie compte des dizaines de milliers de lacs dus à des phénomènes glaciaires; de même le Michigan; la Rift Valley en Afrique comporte une chaîne de lacs, cette fois d’origine tectonique (lacs Malawi, Tanganyika, Mobutu et Turkana); la mer Morte est de cette famille.

La durée de vie des lacs est variable. Les plus anciens sont d’origine tectonique (lac Tanganyika, lac de Prespa) et peuvent exister depuis l’ère tertiaire. La plupart ont un régime hydrologique positif et sont comblés peu à peu par les sédiments apportés par leurs affluents. Leur vie est de l’ordre de la dizaine, voire de la centaine de millénaires. Le Léman, à la vitesse à laquelle il se comble, peut exister encore quelque quarante millénaires si d’autres phénomènes géologiques ne viennent accélérer ou ralentir sa disparition. Il y a dix mille ans, le lac Tchad était dix fois plus grand qu’actuellement et sa durée de vie est essentiellement fonction de la pérennité des apports du Chari qui lui fournit chaque année 95 p. 100 de ses besoins en eau.

Étude hydrologique

D’une façon générale, peuvent être différenciées à court terme des actions dominantes (variations de niveaux, intensité des courants de surface et de subsurface) et des actions secondaires, ou très lentes ou très rapides, mais ayant pratiquement toujours une certaine périodicité (dénivellations périodiques, clapotis, courants de fond). À long terme, les actions dominantes sont d’ordre physique et biologique.

Variations de niveau

Les précipitations jouent un rôle à la fois direct et indirect: direct par la dilution des eaux de surface et les apports chimiques dus à l’eau de pluie; indirect par l’accroissement du débit des affluents. Ces deux rôles se conjuguent pour entraîner des variations de niveau appréciables et qui frappent les riverains et utilisateurs des lacs. Dans le grand lac du Cambodge, ces variations atteignent dix mètres; dans le Léman, elles étaient de trois mètres avant la régularisation à Genève du débit du Rhône. Les installations portuaires doivent souvent être aménagées en conséquence et ce n’est pas une des moindres préoccupations des ingénieurs.

Ondes et courants

Le vent, par son action à la surface des eaux, provoque des courants, brasse les couches superficielles qui, par friction, entraînent les eaux profondes en un mouvement plus lent, certes, mais durable, dont le résultat est un échange de substances nutritives; un certain équilibre s’instaure entre les différents étages discernables dans la masse d’eau (cf. Zonation thermique). Par sa force, le vent apporte également de l’énergie au lac, énergie immédiatement utilisée pour produire des dénivellations apériodiques qui rompent l’horizontalité des eaux de surface et les «montent sous le vent». Quand celui-ci s’arrête, le retour à l’équilibre s’effectue par des balancements successifs ou seiches, sorte de marées rapides qui, découvertes dans le lac Léman par Fatio de Duillier (1730), puis étudiées systématiquement par F. A. Forel, ont été observées depuis dans tous les lacs et mers du globe.

Les variations locales du champ de pression atmosphérique sont aussi la cause primaire de telles seiches. Elles se traduisent par de rapides dénivellations en des points opposés d’un lac (fig. 1); elles peuvent être longitudinales ou transversales et leur période est calculable par une formule du type:

T est la période en secondes, l la longueur du bassin lacustre entrant en résonance, et sa profondeur moyenne (formule de Mérian); cette période (seiche longitudinale) peut être de quelques minutes dans les petits lacs à plusieurs heures dans les plus grands: dans le lac de Joux (Jura), la période de la seiche uninodale est de 12 minutes 15 secondes, dans le Léman de 73 minutes 30 secondes, dans le lac Érié de 786 minutes.

L’amplitude des seiches varie de quelques millimètres à plusieurs mètres. Leur rôle sur la zone littorale et sur l’exploitation des lacs est parfois considérable du fait qu’elles induisent des ondes internes beaucoup plus lentes mais d’amplitude bien plus importante, ayant des répercussions sur la répartition de la flore et de la faune.

D’autre part, la viscosité de l’eau varie avec la température. Les vents, en déplaçant les masses d’air à la surface de l’eau, provoquent par friction des vagues d’abord et des courants de dérive ensuite qui, de proche en proche, entraînent la masse d’eau. La stratification thermique provoque, elle, un gradient de densité, et les courants seront de plus en plus faibles en profondeur tout en intéressant toujours la totalité des couches d’eau. Comme en mer, la rotation de la Terre (force de Coriolis) dévie ces courants (fig. 2). De tels phénomènes ont été décelés dans les grands lacs africains, américains, asiatiques et même dans des lacs de la taille du Loch Ness, du lac de Constance ou du Léman.

Un système complexe de courants s’instaure ainsi dans les lacs à toutes profondeurs; la répartition des sédiments apportés par les affluents, celle des substances nutritives pour les organismes et celle même de ces organismes en dépendent.

Zonation thermique

La densité de l’eau, prise comme unité à 4 0C et 760 millimètres de mercure varie avec la température, la salinité et la pression. L’eau est d’autant plus lourde qu’elle a une température voisine de 4 0C à pression normale. Le soleil, en réchauffant une masse d’eau par le dessus, provoque ainsi une stratification thermique dans les eaux dormantes des lacs et ce n’est qu’en profondeur que la température reste basse en saison chaude, si les vents ne viennent contribuer à brasser les couches ainsi différenciables: épilimnion près de la surface, à la température variable saisonnièrement (donc plus ou moins épaisse); métalimnion ou couche de transition caractérisée par une forte variation de température avec la profondeur (thermocline); hypolimnion ou couche profonde à température basse et aux mouvements de convection lents (fig. 3).

Quand les couches profondes d’un lac sont régulièrement renouvelées au cours des périodes de circulation thermique qui alternent avec celles de stratification, il y a holomicticité. Les lacs situés en régions tempérées et à altitude moyenne ont deux périodes de circulation alternant avec une stratification thermique directe et une stratification thermique inverse; ils sont dits dimictiques. Ceux où chaque année n’alterne qu’une période de stratification et une période de circulation sont dits monomictiques. Les lacs thermomonomictiques n’ont qu’une période de stratification thermique d’eau chaude et les psychromonomictiques n’ont qu’une période de stratification thermique d’eau froide – c’est le cas des lacs de montagne ou de hautes latitudes qui gèlent l’hiver et dont l’eau ne dépasse pas 4 0C en saison «chaude» (fig. 4).

Il existe des lacs oligomictiques dont les eaux se mélangent très peu et des lacs polymictiques où, au contraire, il n’y a que de courtes et aléatoires périodes de stratification thermique (lacs de plaine en région tropicale). En fonction des facteurs qui, directement ou non, freinent ou provoquent le mouvement et la stratification des eaux, tous les termes de passage existent, variables également dans le temps, entre ces divers types de lacs. La profondeur et l’orientation de la cuvette lacustre jouent, d’ailleurs, un grand rôle dans la «réceptivité» des lacs à ces causes de fluctuations hydrologiques.

Quand elle devient permanente, comme dans certains lacs à basses latitudes, la stratification thermique entraîne une méromicticité ou blocage des couches profondes par maintien toute l’année d’un gradient de densité (lac Tanganyika). Ce blocage peut être aussi lié à l’existence d’un gradient de salinité trop accusé pour que le refroidissement saisonnier provoque un mélange des couches profondes et de surface. C’est le cas de lacs riches en sels en profondeur (lac Tokke en Norvège). Dans ces couches profondes bloquées, la vie est encore possible parfois, mais le plus souvent elle est réduite à une activité bactérienne de reminéralisation de la matière organique qui se sédimente lentement (mer Morte, lac Kivu, etc.).

Étude géomorphologique

Origine et permanence

L’eau d’origine atmosphérique est en grande partie absorbée par les couches de surface (nappe phréatique) puis, ressortant par les sources, s’écoule dans des vallées, s’étale dans tout creux de l’écorce terrestre (définition étymologique du mot lac), constitue des étangs, voire des lacs de barrage, des réservoirs si l’homme arrête par ses œuvres cet écoulement naturel.

Quand les apports sont importants et réguliers, l’évaporation faible et le sous-sol imperméable, l’écoulement vers un point bas qui est souvent la mer est de règle (exoréisme ). Mais le globe terrestre est riche d’exceptions: près du quart des terres émergées est constitué de bassins endoréiques , sans communication avec les océans (au moins directement); les points bas de ces bassins recèlent souvent des lacs, là où le jeu des apports et des pertes s’équilibre plus ou moins. En Australie comme en Afrique ou en Amérique du Nord, de tels bassins existent. Ailleurs, les apports sont trop faibles, l’évaporation trop intense ou le sol trop perméable pour permettre l’existence de lacs permanents (bilan hydrologique négatif).

Dans l’histoire géologique de ces régions, des lacs ont pu exister au hasard des variations du climat. La situation, telle qu’elle se présente aujourd’hui, n’est, en effet, que le reflet de ce jeu aux règles multiples. Très rares sont les lacs véritablement permanents à l’échelle des temps géologiques. Cependant, les phénomènes en cause (érosion, sédimentation, variations climatiques) sont assez lents à l’échelle de la vie humaine pour qu’on puisse considérer un lac, un fleuve comme un élément permanent de son environnement.

Nombre de lacs doivent leur origine au barrage naturel d’une dépression longitudinale, soit par des dépôts de glaciers (moraines), soit par des coulées volcaniques, soit par des alluvions, soit par suite de mouvements tectoniques. D’autres remplissent des dépressions produites par la dissolution de la roche en place ou son usure; c’est le cas au pied des grandes chutes d’eau; ces lacs n’apparaissent alors que lors du retrait de l’eau fluviale. Ils peuvent aussi avoir une origine mixte, combinant plusieurs de ces phénomènes. Mais la plupart des grands lacs du monde remplissent de vraies dépressions, qu’elles soient profondes comme le Baïkal ou plates comme le lac Tchad ou la Mar Chiquita d’Argentine (tabl. 2 et 3).

Plus rares sont les lacs dus à l’action du vent, de la mer, ou encore à l’évolution d’une rivière. Dans les régions à vents réguliers et à sol sableux, régions souvent arides, se constituent des dunes entre lesquelles l’eau peut s’accumuler (Asie centrale, Afrique du Nord, dans la province du Kanem au Tchad, etc.); la formation de cordons littoraux au bord de la mer, ou même des lacs, entraîne la formation de nouveaux lacs (lacs d’Hourtin, de Lacanau dans les Landes françaises; nombreux lacs dans le Massachusetts et le Minnesota, etc.).

La coalescence de deux méandres d’une rivière constitue un lac en forme de fer à cheval; le détournement partiel du lit entraîne la formation de lônes (terme consacré le long du Rhône): quand la rivière déborde, elle laisse après l’inondation des noues (backwaters en anglais), qui évoluent parfois en lacs temporaires ou en marécages semi-permanents. Ces noues ressemblent beaucoup à certaines mares de plaine ou de forêt ou à certaines «délaissées» de lacs près de l’embouchure d’un affluent à fort débit solide. On peut en rapprocher les lacs plats servant de régulateurs à certains fleuves, tel le grand lac du Cambodge alimenté par le Mékong. Il en est de même du complexe qui, dans la boucle du Niger, constitue un véritable delta intérieur de 19 450 km2, alternativement inondé et exondé, dans lequel on reconnaît des lacs plus ou moins temporaires (lac Débo, lac Korientzé, lac Walado, etc.).

Morphologie et sédimentation

La morphologie d’une cuvette lacustre est préfigurée par son origine même. Cependant, l’eau et ce qu’elle apporte en arrivant dans cette cuvette contribuent à lui donner un caractère propre. Au niveau de la zone littorale, les vagues et les courants sapent les berges et entraînent plus loin des matériaux qui vont se sédimenter dans les baies abritées ou vers le large dans les zones plus calmes et profondes. Il se constitue ainsi progressivement des rivages rocheux où l’érosion est prédominante et des rivages où les sédiments constituent une « beine » littorale d’érosion, à faible profondeur. Plus loin encore, un «talus», dont la pente est en grande partie déterminée par la granulométrie du matériau transporté par les courants littoraux, assure la continuité du fond jusqu’à la plaine centrale; celle-ci se comble plus ou moins lentement grâce aux matériaux allochtones ou autochtones qui s’y déposent inexorablement (fig. 5).

Les matériaux allochtones sont soit grossiers, surtout au voisinage des embouchures d’affluents à cours rapide (ils se sédimentent en fonction du débit de ces affluents et la fréquence des apports est liée à celle des crues), soit plus fins, plus ou moins «classés» allant même jusqu’à constituer des vallées d’alluvions, souvent improprement appelées canyons (par exemple, ceux du Rhin dans le lac de Constance et du Rhône dans le Léman); ils servent de couloir d’avalanche à des matériaux plus grossiers (sables) qui parfois les encombrent lors de «crues» exceptionnelles.

S’ils sont autochtones, les sédiments sont inorganiques ou organiques et leur dépôt est souvent saisonnier.

Dans un lac, l’ensemble de ces dépôts provoque un comblement progressif, horizontalement hétérogène. Les remaniements et les tassements ajoutent à cette hétérogénéité spatiale des sédiments lacustres.

Les fluctuations saisonnières de la sédimentation provoquent souvent la formation de « varves », alternances de couches claires et foncées qui, comme au lac de Zurich, ont permis de dater les événements principaux des périodes récentes du lac. Ces varves, que l’on retrouve dans de nombreux lacs assez profonds et à mode autochtone de dépôt des sédiments, constituent des indicateurs paléolimnologiques. Les informations qu’elles apportent s’ajoutent à celles qui peuvent être tirées de l’étude chimique, physique et biologique des fonds lacustres et contribuent puissamment à reconstituer les paysages anciens de notre planète. Ce sont d’excellents enregistreurs des variations climatiques et des «greniers» à graines, pollens et autres restes d’organismes qui s’y fossilisent aisément en même temps que les squelettes, frustules, oogones et parties chitineuses ou encore silicifiées de végétaux et d’animaux aquatiques.

L’ordre de grandeur de la vitesse de sédimentation dans un lac, quoique très variable, est souvent de l’ordre du millimètre par an.

Principales biocénoses

Pour mieux comprendre les liens existant entre organismes lacustres, il faut en bien connaître les particularités écologiques liées elles-mêmes à leurs exigences physiologiques. Tout organisme, pour exister, doit trouver tout au long de sa vie des conditions propices à son développement et pouvoir se reproduire. Il doit également vivre en «bonne entente» avec ses voisins aux exigences similaires, dont il se nourrit partiellement ou encore auxquels il sert de nourriture [cf. BIOCÉNOSES].

L’eau est un filtre à radiations: les rayonnements de courtes longueurs d’onde en traversent aisément de grandes épaisseurs, tandis que les infrarouges sont arrêtés par quelques centimètres. Les organismes photosynthétiques, tributaires de l’apport en énergie radiante d’origine exosphérique, ont donc une distribution verticale liée à cette pénétration sélective des rayonnements dans l’eau. Le débit solide (en suspension) des eaux courantes et toutes les autres causes de variations de la turbidité des eaux naturelles gênent cette pénétration et influent donc sur la distribution à la fois horizontale et verticale des organismes.

L’étude des biocénoses lacustres s’apparente à celle des organes (et de leurs fonctions) d’un organisme pluricellulaire qui, pour le limnologue, serait le lac tout entier. Comme n’importe quel organe, les biocénoses, qu’elles soient planctoniques, benthiques, nectoniques, pleustoniques, peuvent être étudiées anatomiquement (taxinomie des éléments constitutifs) et physiologiquement (développement, vieillissement, transferts, etc.). Le temps joue, dans l’étude de ces phénomènes, un rôle d’une importance primordiale, car chaque espèce se développe, évolue à une vitesse différente, passe par des stades définissables écologiquement (écophases), vit parfois simultanément avec d’autres dans le milieu (par exemple nauplies et copépodites de Copépodes, femelles et mâles de Rotifères, alevins et adultes de Poissons, etc.). Chaque écophase de chaque espèce a sa place dans la biocénose qui la concerne et les individus qui la composent changent en vieillissant d’écophase et parfois même de biocénose (cas des insectes). Le brochet (Esox lucius ) a une écophase œuf benthique, une autre vésiculée périphytonique et anorexique, une écophase alevin jeune microphage et déjà nectonique, tandis que l’écophase adulte en fait un prédateur parfois redoutable et cette fois nettement nectonique (l’écophase adulte devient anorexique en période de reproduction).

Domaine pélagique

Comme dans la mer, le domaine pélagique est celui qui caractérise le mieux le milieu lacustre, même si, parfois, il ne joue pas le rôle essentiel dans sa physiologie.

Il comporte deux importantes catégories d’organismes: ceux qui peuvent se libérer de plusieurs contraintes du milieu, tels les Poissons, et constituent le necton ; ceux qui, végétaux ou animaux, subissent plus ou moins totalement ces contraintes et constituent le plancton .

Dans ce domaine se trouvent également des organismes qui vivent toujours, ou de préférence, à la surface de l’eau, soit dessus, soit dessous; ils forment une biocénose très particulière appelée pleuston , à laquelle viennent se joindre les micro-organismes formant un film à la surface de l’eau appelé neuston .

La qualité et la densité du plancton dépendent à la fois des facteurs abiotiques ci-dessus mentionnés (pénétration de la lumière, température, etc.) et de facteurs biotiques, nutritionnels ou concurrentiels. La variété des types de lac et la nécessité d’y définir des zones géographiques particulières ont fait parler de limnoplancton pour le vrai plancton pélagique lacustre tandis que l’héléoplancton se développe dans les zones peu profondes ainsi que dans les microlacs que sont les mares et quelques étangs. L’haliplancton est sténotope et ne vit que dans les eaux salées continentales et le tychoplancton comprend les organismes accidentellement planctoniques. Tout un vocabulaire de spécialistes s’ajoute à ces quelques exemples destinés à montrer combien peuvent être variées les biocénoses planctoniques.

Les organismes du phytoplancton sont généralement des algues dont la biologie, quoique variable selon les espèces, permet des développements saisonniers. Leurs exigences différentes font qu’elles peuvent à la fois survivre ensemble durant une longue période (individus rares) et se développer considérablement selon les fluctuations du milieu. Si les facteurs abiotiques liés aux phénomènes périodiques d’ordre astronomique jouent un rôle important dans cette succession, dans bien d’autres cas, ils ne jouent qu’un rôle secondaire par rapport aux phénomènes apériodiques ou aux facteurs biotiques dépendant eux-mêmes et directement du développement des populations. Par exemple, dans les eaux riches en phosphore se développent des Scenedesmus (Chlorophycées); dès que la teneur en phosphore a baissé par piégeage biologique, elles sont remplacées par des Dinobryon (Chrysophycées); des Cyanophycées comme Anabaena ou des Chlorophycées comme Pediastrum sécrètent dans le milieu une substance organique à la fois stimulante pour leur propre croissance et inhibitrice de la reproduction de la plupart des autres espèces. Ainsi naît une «fleur d’eau», formée par le développement exagéré (bien que non anarchique) d’une algue au point de colorer le milieu et d’être extraite: dans certains petits lacs du Tchad, comme du Mexique, le développement en masses, en certaines périodes de l’année, d’une Cyanophycée (Oscillatoria , groupe des Spirulina ) permet à l’homme de l’exploiter comme source non négligeable de vitamines et de protéines. Dans le Sud-Est asiatique, ces spirulines sont récoltées comme nourriture complémentaire pour des animaux domestiques (canards, notamment).

La densité du phytoplancton est très variable. Sa stratification, liée à la nécessité d’avoir à sa disposition une source d’énergie lumineuse suffisamment efficace, est une des curiosités les plus importantes de la limnologie; on différencie une zone euphotique et une zone oligophotique où les organismes photosynthétiques peuvent prospérer ou au moins survivre, et une zone aphotique où la lumière utile ne pénètre pratiquement pas. Dans la zone euphotique se situe une profondeur pour laquelle le résultat de la photosynthèse est contrebalancé par celui de la respiration des mêmes organismes et des organismes animaux présents (profondeur de compensation). La zone supérieure, ou trophogène , représente la seule partie du lac où le «piégeage» effectif de l’énergie solaire amorce les processus de transfert de cette énergie qui se perd en mouvements, chaleur et métabolismes divers.

Le phytoplancton sert de nourriture à de nombreux éléments du zooplancton. Celui-ci, qui comprend aussi bien des Rotifères et divers Crustacés (Branchiopodes, Copépodes) que des larves d’Insectes (Chaoborus ) ou de Mollusques (Dreissena ), des Méduses (Craspedacusta ) ou des Protozoaires, requiert une nourriture adéquate et en quantité suffisante à tous les stades de croissance et pour chaque écophase.

Le lien existant entre végétaux et animaux est extrêmement complexe car il varie constamment dans le temps. Les principaux facteurs de cette variation sont les courants, de dérive ou de seiches, les ondes internes, les variations de température parfois subséquentes, les variations de lumière et la répartition hétérogène de la nourriture.

Le recyclage permanent des matériaux nécessaires au développement des organismes planctoniques (bien que d’intensité variable) est une des caractéristiques essentielles des milieux aquatiques lacustres où tous les phénomènes vitaux (sécrétion, excrétion, respiration, alimentation) interfèrent: les déchets des animaux servent d’alimentation aux bactéries; les produits secondaires de la photosynthèse des uns sont indispensables à d’autres (oxygène); les sécrétions de tous modèlent le milieu, stimulent les uns et inhibent le développement de beaucoup. Les phytophages planctoniques auront ainsi tendance à vivre dans les couches d’eau supérieures, mais leur phototropisme souvent négatif les oblige à ne monter en surface que la nuit; des migrations nycthémérales se dessinent, ajoutant encore à la variabilité qualitative et quantitative du plancton en un lieu donné d’un lac.

Domaine benthique

Les organismes qui, par leur conformation, leurs besoins nutritionnels ou leur haptotropisme (de haptos , qui adhère), sont liés au fond, quelle que soit sa nature, constituent une communauté, le benthon (on dit parfois, improprement, benthos).

Comme pour le plancton, on a distingué plusieurs sortes de benthon suivant que les organismes préfèrent vivre sur ou dans le substrat (épibenthon, endobenthon). Les principaux représentants du benthon lacustre – à part quelques exceptions comme la mousse Thamnium alopecurum , qui vit par soixante mètres de profondeur dans le Léman – sont des animaux: Vers Oligochètes et Turbellaires, Mollusques, larves d’Insectes Diptères (Chironomides). Ils contribuent avec les bactéries à donner au domaine benthique son utilité. Les sédiments de fond des lacs sont le plus souvent constitués de boues, de vases en cours de dépôt et dont une partie se fossilise. Sur ce fond vivent également des organismes ayant de nombreuses affinités avec la faune souterraine (par exemple, des Isopodes comme Asellus cavaticus ou des Amphipodes comme les Niphargus ). La répartition hétérogène des sédiments entraîne, bien sûr, une variation importante aussi bien qualitative que quantitative dans la répartition de tous ces organismes animaux (et bactériens).

Domaine littoral

Quand, remontant des fonds lacustres, on atteint la zone où les végétaux vasculaires font leur apparition, on découvre un domaine très différent, donnant à première vue, à l’œil exercé, une idée de richesse et de diversité.

Le domaine littoral, par son hétérogénéité, est en effet bien plus spectaculaire que les précédents. On y distingue pourtant vite un certain ordonnancement des organismes. Les plantes, fixées sur le fond, avec ou sans rhizomes, constituent une ceinture zonée de végétation.

Aux plus grandes profondeurs apparaissent des Charas quand l’eau est riche en sels de calcium, des Isoetes quand elle est acide, des Litorella , des Nitella , etc.

Par moindre profondeur se développent les nénuphars, potamots, cératophylles et myriophylles. Autour de ces plantes, comme sur tout autre substrat encombrant les rivages, vit une biocénose très particulière, le biotecton, constitué à la fois d’un feutrage organique, à dominance bactérienne, de matériaux floculés, d’algues (Diatomées, surtout), protistes, vers (Nématodes, notamment), microcrustacés... Réduite à sa partie fixée sur les tiges et feuilles végétales plus ou moins en décomposition, elle est souvent appelée périphyton .

Le rôle de ce biotecton est considérable, car, quantitativement, bien qu’il représente une biomasse relativement faible, sa productivité est élevée. Il contribue, par ailleurs, à bloquer les particules en voie de floculation et participe ainsi, indirectement mais activement, au comblement des lacs.

Entre la végétation, sur et sous les cailloux, dans le sable quand il y en a, vivent également des communautés animales importantes, dont les fluctuations dans le temps sont souvent influencées par les variations de niveaux et les vagues. La biocénose propre au sable est dénommée psammon .

Autres communautés lacustres

Le découpage d’un environnement est toujours artificiel. Quelles que soient l’hétérogénéité du milieu et la diversité des organismes qui composent les biocénoses, l’unité d’un lac est. Une communauté particulièrement importante pour l’homme, qui l’exploite parfois, concerne les trois domaines: c’est le necton, noté dans le domaine pélagique parce que là il démontre mieux ses possibilités de déplacements. Dans le domaine benthique, il est moins connu et, cependant, d’assez nombreux Poissons y sont presque strictement inféodés: lottes, ombles chevaliers (Salvelinus ), poissons plats de certains lacs tropicaux, etc. Dans le domaine littoral, à la diversité s’ajoute une sédentarité que les pêcheurs amateurs connaissent bien.

Il ne faut pas oublier que les surfaces d’eau libre sont des refuges ou des gîtes d’étapes pour les oiseaux d’eau migrateurs; ceux-ci contribuent, par leurs excreta, à l’enrichissement chimique du milieu; par leur prédation, parfois sélective, à certaines modifications au moins quantitatives des faunes, et par les possibilités de rétention sur leur corps (plumes, pattes) d’œufs de durée, de kystes, etc., à une dispersion continue dans le temps d’organismes plus ou moins eurytopes. De nombreuses Algues, des Rotifères et des Crustacés voient ainsi leur répartition se modifier et il faut trouver là une raison, sinon la raison, de la panmixie de ces groupes d’organismes.

Endémisme des flores et faunes lacustres

Seuls quelques lacs sont très anciens. C’est pourquoi l’endémisme lacustre n’est pas très fréquent. Cependant, le cas des Amphipodes du lac Baïkal, comme celui des Isopodes du lac d’Ohrid, est à signaler. Dans le Tanganyika, des Mollusques endémiques existent, et certaines Éponges ne sont connues à l’heure actuelle que dans quelques lacs argentins. Des Poissons également peuvent évoluer différemment dans des lacs voisins et être ainsi le point de départ d’une sorte d’endémisme «ponctuel», très intéressant du point de vue génétique des populations. C’est le cas des Corégones de la région alpine.

Enfin, on trouve dans la zone tropicale des espèces qui ne s’étendent pas vers les zones tempérées ou froides, et réciproquement, et dont l’aire de distribution, si large soit-elle, est limitée à une portion de continent; sans que ce soient des formes vraiment endémiques, elles caractérisent un certain nombre de milieux aquatiques géographiquement et climatiquement proches.

Évolution trophique et productivité

Le milieu lacustre évolue sous l’effet d’actions physiques et biologiques périodiques et apériodiques, à court et à long terme (cf. Étude hydrologique ). La matière organique s’entasse au fond, où s’accumulent, par ailleurs, les produits minéraux exogènes (sédiments, poussières) ou endogènes (calcaires lacustres, silice par exemple). Dans les régions tempérées et subtropicales, le cycle des saisons fait réapparaître, chaque année, les mêmes phénomènes avec la même intensité, jusqu’au moment où des espèces influencées par les fluctuations climatiques laissent la place à d’autres moins «difficiles», plus prolifiques, qui accéléreront l’évolution de la masse, soit localement (baies en zone littorale, herbiers des hauts fonds), soit dans son ensemble.

Pour classer les lacs en fonction de leur capacité à produire plus ou moins vite de la matière organique, on a introduit la notion de trophie ; mais, depuis que les mécanismes de la production en milieu aquatique sont mieux connus, cette notion ne permet plus que de situer qualitativement les lacs les uns par rapport aux autres à un moment donné (dans le temps géologique), alors qu’il faudrait pouvoir mesurer leur vitesse propre d’évolution.

On parle ainsi d’oligotrophie quand un lac ne possède qu’une quantité insuffisante de matériaux de base destinés à fabriquer de la matière organique. Ce sont souvent des lacs «jeunes» ou situés dans des régions cristallines. Ils sont parfois profonds et, leur productivité étant faible, leurs caractéristiques physiques sont essentiellement une forte transparence, une teneur en oxygène relativement élevée, à toutes les profondeurs et en toutes saisons, et des sédiments pauvres en matière organique en voie de décomposition.

Dans certains lacs, la matière organique s’est accumulée lentement, mais sa nature est telle que le recyclage de ses produits de décomposition est lent. Ils sont donc oligotrophes, au sens strict du terme, mais leurs eaux sont brunes et acides, leur transparence assez faible et leur fond tapissé de détritus organiques en voie de lente transformation; on les dit dystrophes. Enfin, quand les matériaux de base (azote, phosphore, carbonates, etc.) sont abondants, la productivité élevée des eaux entraîne une série de modifications profondes du milieu qui le rend eutrophe. Un lac eutrophe a généralement une faible transparence par suite de l’abondance de ses éléments planctoniques; ses eaux sont suroxygénées en surface le jour et désoxygénées en profondeur, pendant au moins la saison chaude (période de stratification). Les sédiments du fond, riches en matière organique, sont le siège d’une activité bactérienne intense, tandis que leur faune y est réduite à quelques espèces adaptées (Chironomus ).

Tous les termes de passage existent entre ces différents états «trophiques» et l’on parle parfois de mésotrophie, de myxotrophie, etc., pour distinguer ces états intermédiaires. L’évolution «trophique» d’un lac est généralement lente et inexorable à l’échelle du siècle, voire du millénaire. Les variations de climat jouent un rôle important sur la vitesse de cette évolution et même sur son sens. Si l’homme est un des agents principaux de l’introduction des substances qui, nutritives, sont «piégées» par les organismes producteurs de matière organique, il y a pollution chronique (chaque humain riverain d’un lac y apporte annuellement 5 kg d’azote et 1 kg de phosphore sous forme de déchets) et détérioration de l’équilibre initial de la masse d’eau. Tous les lacs sont appelés ainsi à évoluer et peu à peu à disparaître si les phénomènes géologiques (d’origine tectonique le plus souvent) et climatiques ne les rajeunissent pas.

La dépendance étroite constatée entre facteurs bioclimatiques à longue et à courte période et facteurs de productivité dans les lacs donne un caractère assez aléatoire à toute tentative d’apprécier à court terme la capacité de production, voire d’exploitation d’un lac particulier. Il n’existe actuellement que trop peu d’exemples où, par voie directe, il a été possible de mesurer le flux d’énergie caractérisant, à chaque niveau trophique, sa productivité. Un immense champ d’investigation est ouvert en ce domaine et si l’homme veut utiliser rationnellement ses plans d’eau, il doit faire un énorme effort de recherches scientifiques et techniques pour y parvenir (tabl. 4). La tendance à utiliser les lacs comme fosses de décantation et de rejet des déchets de ses activités est vivement combattue. À une eutrophisation naturelle due au mode même de fonctionnement du système dynamique qu’ils représentent, l’homme a ajouté une eutrophisation qu’il ralentit actuellement. Ainsi, le lac d’Annecy, victime d’une surutilisation au XXe siècle, est redevenu un lac oligotrophe (ou presque) après construction d’un égout collecteur périphérique, qui conduit en aval de son bassin versant (et vers une station d’épuration) la quasi-totalité des déchets d’origine humaine produits sur ses rives.

3. Autres collections d’eaux dormantes

De la flaque d’eau de surface (ou souterraine) aux grands lacs, tous les intermédiaires existent; le moindre fossé humide toute l’année, le moindre bassin en eau, le plus petit étang abritent des biocénoses plus ou moins caractéristiques et réagissant aux fluctuations des facteurs externes de manière similaire à celles qui peuplent des portions de grands lacs; de la même façon, les lagunes, malgré leurs liens avec la mer, ont une individualité d’eaux continentales.

Étangs et marais

Par définition, un étang est un réservoir d’eau vidangeable et fait de main d’homme. Quand il n’est plus exploité, ni vidangé, il évolue vers un état d’équilibre qui l’apparente à un lac. Par suite de ses caractères propres et notamment de sa faible profondeur (en général 1 à 2 m), des facteurs y jouent un rôle moins important que dans un lac et d’autres voient leur action grossie. Ainsi, la stratification thermique y est moins nette, moins durable par suite d’une prise aux vents différente, et d’une profondeur moyenne moindre. La faible profondeur rend actifs jusqu’à la surface les phénomènes qui modèlent le fond. L’existence des étangs, liée à celle de l’homme, est également conditionnée par la présence de fonds imperméables, le plus souvent argileux ou marneux recouverts parfois de sables généralement siliceux. La flore phanérogamique y trouve le moyen de se développer en ceintures caractérisées, depuis les Carex du bord de l’eau jusqu’aux nénuphars, en passant par les roseaux (Phragmites ), joncs et scirpes, potamots et autres plantes fixées.

La turbidité des eaux y est souvent forte par suite de la remise en suspension des matériaux du fond, plus ou moins floculés, dès que le vent provoque la turbulence des eaux. Le développement considérable à certaines époques d’espèces phytoplanctoniques a le même effet. Les processus physico-chimiques sont accélérés: la faible profondeur permet un transfert plus rapide des produits de décomposition bactérienne dans la zone euphotique trophogène. Enfin, les étangs sont le plus souvent utilisés comme réservoirs à poissons et l’homme y introduit des engrais choisis et en retire de la nourriture ou des produits de consommation, soit par pêche directe, soit lors des vidanges qui modifient le milieu (en l’améliorant, parfois).

La production annuelle des étangs va de quelques dizaines de kilogrammes de poissons à l’hectare (pêche extensive) à quelques kilogrammes par mètre carré (pisciculture intensive).

Les marais sont à la limite entre milieu terrestre et milieu aquatique. Ils ont en commun avec le premier un sol hydromorphe et des échanges physico-chimiques rapides, soit avec l’atmosphère, soit avec les horizons inférieurs, et avec le second la flore et les dépôts de sédiments quand ils sont remplis d’eau. Des processus bactériens intenses y provoquent souvent des formations plus ou moins localisées de bitumes qui s’étalent en taches d’huile dans les zones d’eau libre protégées, entre les touffes de Carex , scirpes, renouées, roseaux couvrant parfois de grandes surfaces. Les marais ne sont que le cas extrême d’une zone littorale abritée d’étangs ou de lacs laissés à l’abandon.

Ces milieux peuvent être aménagés. Les marais sont parfois asséchés, soit pour devenir d’excellentes terres à culture, soit pour éviter les ennuis que leur voisinage occasionne (moustiques, brumes, humidité résiduelle, «miasmes»). Cependant, leur rôle microclimatique est indéniable et ce sont des portions de nature qui servent de refuges à de très nombreux organismes utiles (dont les oiseaux migrateurs). Dans leur aménagement, un juste équilibre doit donc être calculé entre l’intérêt à court et à long terme de leur maintien et celui de leur destruction partielle ou totale.

Les étangs ont plusieurs modes d’utilisation. Lieux de baignade ou plans d’eau destinés à la navigation de plaisance, ils sont aussi utilisés par les pêcheurs à la ligne pour leur sport favori. Mais leur aspect esthétique ne doit pas faire oublier que ce sont avant tout des «champs» à poissons, de véritables usines à fabriquer des protéines animales. Leur exploitation, florissante dans certains pays, est malheureusement freinée dans d’autres par la concurrence entre les différentes sources de protéines animales disponibles (viandes, poissons marins ou lacustres). Dans les contrées à moyens de communication difficiles et où l’eau est abondante (zone équatoriale) ainsi que dans les pays centraux d’Europe et d’Afrique, les étangs font l’objet de soins tout particuliers. Il en est de même dans les régions à très forte densité de population telles que la Hollande ou l’Indonésie), où la nécessité de protéines fait oublier le phénomène de concurrence. L’élevage des poissons en étangs est la base même de la pisciculture, qui s’accompagne parfois d’autres activités d’élevage (canards) ou de culture (riz).

Mares et milieux temporaires

Les mares sont de très petits lacs naturels ou artificiels, où la végétation littorale est soit presque nulle, soit au contraire très développée. De profondeur variable, une mare est parfois temporaire, la disparition de l’eau étant due soit à une infiltration lente, soit à l’évaporation (sous les climats arides). Rien ne particularise spécialement une mare par rapport à un lac, si ce n’est la taille et le caractère astatique de ce milieu. C’est dans les mares que se développent le mieux certaines espèces d’Algues ou de Crustacés au point que les unes forment des fleurs d’eau, les autres une biomasse plus ou moins exploitable (mares à phyllopodes, fosses à daphnies). Des mares très pauvres de forêt sur terrains siliceux aux mares de fermes riches en matières organiques d’origine animale, tous les intermédiaires existent, et c’est un milieu de choix pour l’étude expérimentale des phénomènes aquatiques (et de leur mécanisme d’action).

Ces derniers s’y trouvent à la fois à la taille de l’homme et de ses possibilités de mesures dans le temps et dans l’espace et ils sont le plus souvent simplifiés par la dominance nette, quoique temporaire, d’un nombre très réduit d’espèces, souvent même d’une seule. C’est par l’étude de ces milieux temporaires qu’a été notamment mis en évidence le rôle considérable des stades de repos sur la renaissance de la vie dans les milieux aquatiques. Le sédiment desséché, craquelé même (fentes de dessiccation) d’une mare temporaire recèle, en effet, des spores d’Algues, des œufs de durée de Rotifères et de Phyllopodes, des éphippies de Cladocères, des œufs et des copépodites de Copépodes Cyclopides, des kystes d’Harpacticides, de Protistes, de Tardigrades, toute une vie qui n’attend que l’eau pour se développer, croître, se reproduire, parfois à une vitesse incroyable (quelques jours, voire quelques heures).

Ces milieux servent ainsi de réservoirs à une flore et à une faune plus ou moins cosmopolites, voire ubiquistes. Ils contribuent au maintien un peu partout sur les continents de cette flore et de cette faune et permettent leur dispersion.

Lagunes

Les lagunes sont des lacs peu profonds en communication plus ou moins importante avec la mer et qui, de ce fait, en subissent constamment l’influence. Dans une lagune, on distingue essentiellement deux types de milieux: celui qui subit en permanence l’influence des apports marins (lagune «vivante») et celui qui évolue de manière autonome (lagune «morte»). Le premier de ces milieux s’apparente à un milieu marin littoral, tandis que le second est la lagune proprement dite. Du point de vue hydrologique, la lagune vivante possède avec quelque retard un régime strictement marin (flux, reflux, parfois houles), tandis que la lagune morte ne se trouve que sous l’influence des vents locaux, précipitations et apports continentaux qui, progressivement, en font soit un milieu en voie de dessalure, soit au contraire en sursalure continue suivant l’importance de l’évaporation. Oxygène et pH sont déterminés par la végétation de fond (quand il y en a), tandis que phosphore et silice sont davantage influencés par le plancton.

Dans les conditions morphologiques et hydrodynamiques qui règnent dans une lagune, il y a remise en suspension de manière subcontinue des éléments qui ont tendance à se déposer. Une lagune, vivifiée régulièrement par les apports marins, est, comme tout lac, un piège à substances nutritives. Sa concentration en sels utiles y est inversement proportionnelle à la profondeur. La lagune s’enrichit ainsi par rapport à la mer voisine et, bien que le nombre des espèces soit relativement réduit, celles qui acceptent les conditions particulières de ce milieu forment d’importantes populations.

Les éléments phytoplanctoniques sont de deux sortes: des espèces euplanctoniques, assez rares et se développant mal dans les conditions régnant en lagune, et des espèces tychoplanctoniques dont quelques-unes sont très adaptées au milieu et s’y développent en masse. Elles servent de base à une chaîne alimentaire limitée, mais efficace du point de vue de la productivité. La répartition des animaux dépend de celle des éléments bioclimatiques ci-dessus énumérés (notamment l’oxygène) et de celle des organismes qui leur servent de nourriture.

Plusieurs espèces marines euryhalines (Mollusques et surtout Crustacés) trouvent dans les lagunes des conditions propices, sinon à tous les stades de leur croissance, du moins à certains d’entre eux. Cette constatation donne à l’étude des lagunes une importance considérable en aquaculture (moules, huîtres, crevettes, par exemple).

Les lagunes sont également exploitées à des fins touristiques (navigation de plaisance facilitée par l’absence de grandes houles) et elles sont le refuge de choix pour les navires marchands, là où la mer est hostile et l’accès à la lagune aménagé (lagune Ebrié, par exemple, où se situe le port d’Abidjan en Côte-d’Ivoire). Venise est un des exemples les plus élaborés d’utilisation de ce type très particulier de lac.

4. Fonctionnement

Un lac, un étang sont des écosystèmes ouverts qui reçoivent l’énergie nécessaire à leur fonctionnement de l’extérieur (rayonnement) et de l’intérieur (combustions métaboliques). Ils reçoivent également de l’extérieur une part importante de la matière qui s’y trouve remaniée périodiquement avant d’y être fossilisée (sédiments) ou transférée en aval (effluents).

Afin de mieux gérer la ressource qu’une telle masse d’eau représente, des essais de modélisation sont en cours. Certains s’approchent suffisamment de la réalité pour permettre des prévisions (cas du lac du Bourget ou du lac d’Aiguebelette en Savoie).

limnologie [ limnɔlɔʒi ] n. f.
• 1892; gr. limnê « étang, lac » et -logie
Didact. Science ayant pour objet l'étude biologique, physique des eaux stagnantes (lacs, nappes phréatiques, etc.).

limnologie nom féminin Étude scientifique des lacs et des eaux lacustres. ● limnologie (synonymes) nom féminin Étude scientifique des lacs et des eaux lacustres.
Synonymes :

limnologie
n. f. GEOGR Science qui a pour objet les phénomènes se produisant dans les eaux douces.

limnologie [limnɔlɔʒi] n. f.
ÉTYM. 1892; comp. sav. du grec limnê « marais, lac », et suff. -logie.
Géogr. Science qui a pour objet l'étude du milieu lacustre.
0 De même qu'on a groupé toutes les études touchant les océans sous le nom d'océanographie, on a voulu faire une science de toutes celles touchant les lacs : c'est la limnologie, qui s'occupe à la fois des particularités physiques et biologiques.
E. de Martonne, Traité de géographie physique, t. I, p. 421.
tableau Noms de sciences et d'activités à caractère scientifique.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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